Cameroun: La fièvre du paludisme monte dans les Campements de pygmées
Entre éloignement des formations sanitaires, manque de moustiquaires et recours préalable à la médecine traditionnelle, ces peuples autochtones font face à bien de problèmes dans la lutte contre cette maladie. Laquelle fait des ravages dans les rangs de cette couche vulnérable. Enquête.
Alertée par les vrombissements d’un moteur, Jeanne Namabale sort de la forêt. Elle s’approche pour voir qui est ce visiteur inattendu. Sa fille, qui l’accompagne, plume sereinement un tout petit oiseau, capturé des heures plus tôt en brousse. Toues les deux femmes regardent avec curiosité la moto qui se dirige tout lentement vers leur campement. Elles suivent discrètement le véhicule à deux roues sur une piste herbacée, arrosée la veille par une grande pluie.
Une fois sur le campement, nous retrouvons une quinzaine de personnes. Des femmes sont réunies pour faire la cuisine. Au menu, le kpwem, un mets traditionnel fait à base de feuilles de manioc pilées et de jus de noix de palme. Non loin de là, le chef du campement se chausse pour faire un tour en brousse tandis qu’en face, un jeune garçon s’occupe à limer sa lance. Les enfants, quant à eux, s’amusent dans la cour.
Ces évènements se déroulent le 21 avril vers 8h sur le site de relogement des Pygmées Baguyely des villages Nkolezole et Nkolebong. Sur ce campement situé à Bissiang, à une vingtaine de kilomètres du centre-ville de Kribi, le dernier cas de paludisme remonte à un mois. Cette fois-là, c’est Albert Ndoungo, le chef du campement lui-même, qui a été touché. Et il a bien failli y passer d’après son témoignage. « On a commencé par soigner avec nos écorces. Quand ça n’allait pas, on est allé à l’hôpital », renseigne-t-il.
L’hôpital dont il parle est le seul proche, situé à une dizaine de kilomètres. Albert Ndoungo a bien été contraint de faire cette distance à pieds malgré son état fragile, faute de moyen de locomotion, pour se retrouver dans cette formation sanitaire appartenant à une entreprise spécialisée dans la production de l’hévéa. Aujourd’hui, il est tout sourire, mais tous n’ont pas eu la même chance. Beaucoup sont décédés, entraînés par le paludisme. Des morts qui se recrutent parmi les cas confirmés de cette maladie qui surviennent assez régulièrement ici.
Par manque de formation sanitaire à proximité, enfants et adultes commencent tous par un traitement traditionnel. « On a beaucoup de cas de paludisme ici chez nous. Même nos enfants tombent malades. Quand le cas devient grave et résiste à nos traitements, si le malade ne peut plus marcher, on part signaler à cette entreprise qui dépêche un véhicule pour venir transporter le malade. S’il ne guérit pas, l’hôpital réfère à Ebome (à une quinzaine de kilomètres, Ndlr) », renseigne le chef du campement.
Le manque de moustiquaires fragilise la lutte
Le nombre assez élevé de patients est amplifié par la non-utilisation d’une moustiquaire imprégnée d’insecticide à longue durée d’action (Milda), dans un environnement où l’anophèle femelle pique à souhait. « Nous avons reçu les dernières moustiquaires il y a longtemps. Il faut que l’Etat nous en donne encore », plaide le chef du campement. « Tout ce qu’on nous envoie ici est souvent détourné, que ce soit pour la santé ou pour autre chose. Les gens qu’on envoie font des rapports pour dire que nous avons reçu et pourtant ils ne nous ont rien donné », ajoute Jeanne Namabale.
Ce problème de moustiquaire se pose aussi au campement des Pygmées de Maka’awoum. Pierre Djemba, habitant, ne se souvient pas de la dernière fois qu’il en a reçue. « Je suis installé ici depuis 2016, mais je n’ai jamais reçu de Milda », révèle-t-il. Ce jeune homme d’une vingtaine d’années aimerait bien dormir sous une moustiquaire pour se prémunir du paludisme qui l’oblige à parcourir des kilomètres pour se soigner quand il est malade. Il a également un autre vœux : « Que l’Etat ravitaille les hôpitaux en médicaments. Lundi (17 avril, Ndlr), j’ai emmené ma maman dans un hôpital situé à Grand-Zambi, village de l’arrondissement de Bipindi. On nous a fait savoir qu’il n’y avait pas de médicaments et nous étions obligés de rentrer », se désole-t-il.
A environ 30 kilomètres du centre-ville de Kribi, nous retrouvons à Nkundu-Nkundun, l’un des trois campements que compte le village Ebome, le jeune Daniel Djemba. Le petit garçon de cinq ans est secoué par un épisode de paludisme. Et pour la première fois depuis des jours, il a été consulté dans un hôpital et mis sous traitement. Ce, après l’échec de la thérapie traditionnelle à laquelle il a été soumis.
500 mètres plus loin, les habitants sont en conclave. Ils semblent moins intéressés par toute question liée au paludisme cet après-midi du 21 avril. Encore attristés par la perte quelques jours plus tôt d’une des leurs, ils sont en plus préoccupés par la maladie d’un jeune garçon. Maladie dont ils soupçonnent une origine mystique. « Il tousse et fait des crachats comportant du sang. Il ne fait pas les selles et ne mange pas. Nous essayons encore de gérer ce cas avec les herbes que nous trouvons ci et là », apprend-on. La rencontre de ce jour a pour objet de tenter une ultime solution à base d’écorces au problème de cet enfant visiblement très pâle.
D’un campement de Pygmées à un autre, les réalités de la prise en charge du paludisme sont similaires : le manque de moustiquaires, l’éloignement des formations sanitaires, le recours à la pharmacopée traditionnelle comme première solution à un cas confirmé de cette maladie. Cette dernière option a pour conséquence l’arrivée tardive des patients à l’hôpital. Toute chose qui est responsable de nombreux décès. « Quand l’un des nôtres décède à l’hôpital, le corps est mis à la morgue aux frais de l’hôpital et après un délai d’une semaine, on va le récupérer pour inhumation », explique Albert Ndoungo. Ceux que nous avons rencontrés avouent pourtant que les traitements sont disponibles gratuitement pour eux, à condition d’arriver à l’hôpital. Des formations sanitaires qu’ils fréquentent difficilement du fait des habitudes culturelles qui les prédisposent d’abord à la pharmacopée traditionnelle.
Le Cameroun est la 10e nation du monde la plus touchée par le paludisme
Le paludisme demeure un problème de santé publique au Cameroun. Le pays reste la 10e nation du monde la plus touchée selon le classement 2019 de l’Organisation mondiale de la santé. Chaque année, il fait des millions de cas et en tue des milliers sur le territoire national. En 2021 par exemple, l’on a enregistré plus de trois millions de cas et près de 4000 décès dans les formations sanitaires.
C’est dans ce contexte que la communauté internationale célèbre ce 25 avril dernier, la Journée mondiale de lutte contre cette pathologie sur le thème : « Il est temps de parvenir à zéro cas de paludisme : investir, innover, mettre en œuvre ». Au moment où l’on commémore cette 16e édition, les Pygmées plaident pour des solutions plus adaptées à leurs réalités.
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