Bertrand Kampoer: 50% de Camerounais n’arrivent pas encore à accéder au diagnostic
Le directeur exécutif de l’ONG For Impacts in Social Health (FIS) parle des raisons possibles de l’explosion des cas de tuberculose au Cameroun et évoque les freins à l’élimination de cette maladie.
Selon le Programme national de lutte contre la tuberculose, le Cameroun a enregistré plus de cas de tuberculose en 2024 qu’en 2023. Et la secrétaire permanente adjointe de cette institution invoque plus de sensibilisation au niveau communautaire pour le justifier. Y a-t-il, selon vous, d’autres raisons qui peuvent justifier cette augmentation des cas ?
La réponse communautaire fait beaucoup de bien à la réponse nationale. Elle s’est davantage diversifiée parce qu’au-delà des acteurs traditionnels de financement comme le Fonds mondial, on a d’autres acteurs qui apportent des financements conséquents. On a par exemple Stop TB Partnership et Expertise France. L’indicateur le plus important c’est que les données communautaires commencent à être intégrées dans le DHIS 2 (Système national d’informations sanitaires) ce qui fait que ces données sont mieux capitalisées. Au-delà de cela, il y a un travail de fond qui est fait par des organisations communautaires et en particulier celles qui interviennent sur le volet qui est appuyé par Stop TB Partnership sur les déterminants de la réponse comme les obstacles à l’accès au traitement, les obstacles de droits humains et de genre; en abordant les questions comme la stigmatisation, la gestion et l’accompagnement des coûts catastrophiques.
Qu’est-ce que vous appelez coûts catastrophiques ?
Ce sont les coûts qui tournent autour du diagnostic et de la prise en charge. Notamment les coûts liés au transport et à l’hospitalisation. Dans le cas du paludisme par exemple, les tests de diagnostic sont disponibles dans les formations sanitaires les plus proches des populations, ce qui n’est pas le cas pour la tuberculose pour laquelle il faut aller dans un centre de diagnostic et de traitement. Il faut en plus prendre en charge les coûts des examens complémentaires et de nutrition parce que ce n’est que dans le cas de la tuberculose multi-résistante qu’on offre un soutien nutritionnel. Les organisations communautaires essaient de briser ces barrières pour permettre aux populations les plus défavorisées que nous appelons « les populations du dernier kilomètre » (les enfants de moins de 5 ans, les prisonniers, les populations des bidonvilles urbains, ceux qui n’ont pas la chance d’être dans des systèmes de ventilation commodes… des personnes qui vivent dans des milieux susceptibles au développement rapide de la tuberculose).
Restons dans ce registre des barrières pour évoquer d’autres obstacles qui constituent un frein à l’élimination de la tuberculose…
Le premier niveau d’obstacle c’est qu’au Cameroun, on ne met pas un accent particulier sur la réduction des barrières d’accès au traitement. Je parle notamment des activités de droits humains, de lutte contre la stigmatisation, de réduction des inégalités de genre.
Le deuxième niveau est lié au sous-financement de la réponse. La mise en œuvre du Plan stratégique national de lutte contre la tuberculose par exemple nécessite 34 milliards Fcfa pour la période 2024-2026. Et il faut dire que le financement extérieur du plan stratégique en 2023 est évalué à près de 73% de ce qui est nécessaire pour la mise en œuvre de ce plan, le financement national étant très faible.
En parlant du financement extérieur de la réponse, les États-Unis ont suspendu leurs financements extérieurs d’appui aux pays étrangers. Qu’adviendrait-il si cette suspension se prolonge?
Si nous prenons l’hypothèse que pour la nouvelle reconstitution des ressources du Fonds mondial il n’y aura pas la contribution des États-Unis, et avec la contribution de CDC et d’autres agences qui reste problématique, nous risquons d’avoir un trou d’environ 50% dans la réponse nationale. Cela va davantage compliquer la réponse parce que le financement permet de mettre en place les nouveaux outils de diagnostic recommandés qui donnent un diagnostic de qualité. Avec des ressources supplémentaires, on peut davantage soutenir le système de transport d’échantillons, soutenir la disponibilité des intrants, densifier les interventions communautaires sur la recherche active des cas…
Le Réseau des défenseurs du Fonds mondial (GFAN Afrique) mène actuellement une campagne de plaidoyer pour un financement par des ressources domestiques allouées à la tuberculose par nos propres dirigeants. Quelles sont les attentes de la Société civile en la matière ?
Nous attendons que les parlementaires s’impliquent dans la discussion budgétaire à l’Assemblée nationale pour permettre que le budget alloué à la lutte contre les pandémies puisse être revu à la hausse; on attend aussi que le secteur privé national s’engage aussi comme on voit dans d’autres pays pour apporter des solutions et financements concrets. On aimerait aussi que ces maladies soient classées comme des priorités nationales et pour terminer, nous aimerions que la lutte contre ces maladies soit intégrée dans la couverture santé universelle.
Quel est le fardeau de la tuberculose pour les communautés affectées?
Selon le Programme national de lutte contre la tuberculose, il y a près de 50% de personnes que le pays n’arrive pas à diagnostiquer. Selon les estimations de l’Oms, on devrait diagnostiquer environ 45000 personnes par an, mais on arrive à diagnostiquer seulement environ 25000 à la fin de chaque année. Donc 50% de Camerounais n’arrivent pas toujours à accéder au diagnostic. Les populations les plus démunies et défavorisées subissent davantage les conséquences de la maladie. C’est pourquoi Stop TB Partnership recommande de diagnostiquer 90% de personnes susceptibles d’être touchées par la tuberculose, parmi lesquelles 90% des populations du dernier kilomètre, si l’on veut mettre fin à cette maladie en 2030.
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