Elections à l’Ordre national des médecins du Cameroun : Un accouchement difficile
Pour la deuxième fois en l’espace d’un mois, les élections des organes dirigeants de cette institution sont renvoyées. Une situation consécutive à un ensemble de désaccords, de soupçons et d’accusations qui bloquent le processus depuis de longs mois. En sapeur-pompier, le Président de la République, Paul Biya, vient d'agir pour sauver les meubles. Chronique d’un feuilleton à rebondissements.
par Guy Martial Tchinda
Les élections des organes dirigeants de l’Ordre national des médecins du Cameroun n’auront plus lieu ce 18 janvier comme initialement prévues. L’échéance a été reportée sine die dans la nuit du 16 janvier via un tweet par le ministre de la Santé publique, Malachie Manaouda, initiateur de l’Assemblée générale y relative. « J’exhorte cependant les uns et les autres à demeurer mobilisés et déterminés à construire un Ordre fort et viable », a-t-il souhaité.
Cette assemblée générale élective de l’Ordre national des médecins est la deuxième convoquée par le patron de la santé au Cameroun en un mois, après la tentative infructueuse du 29 décembre 2022. C’est donc un deuxième échec qu’essuie Malachie Manaouda qui a entrepris d’organiser les élections au sein de cette institution dont assure la tutelle depuis le 4 janvier 2019, date à laquelle il a été nommé ministre de la Santé publique, en lieu et place du Conseil sortant.
Mais le problème électoral au sein de l’Ordre, en tout cas le dernier qui fait tant de remous ne date pas d’aujourd’hui. Tout commence en mars 2022. Alors que l’on approche de l’expiration le 22 de ce mois-là du mandant du Conseil de l’Ordre en place depuis 2019, des voix s’élèvent pour exiger sa tête. L’une des figures de proue de ce mouvement contestataire qui ne souhaite plus voir les « vieux », qu’il accuse de s’accaparer du pouvoir au détriment des jeunes, c’est le Dr Yves Pierre Bassong. Dans une lettre qu’il adresse à ses pairs médecins le 12 janvier 2022, cet ex-président du Syndicat national des médecins du Cameroun appelle le Conseil de l’Ordre à « déposer sa démission dans les plus brefs délais ». Il reproche au bureau de n’avoir rien fait pour l’élection du président de l’Ag et l’adoption d’un règlement intérieur de l’Onmc, tel que le stipule le décret de 1992 fixant les modalités d’application de la loi relative à l’exercice et à l’organisation de la profession de médecin au Cameroun.
Le Dr Bassong propose néanmoins une piste de sortie de crise : « une Ag extraordinaire pour l’élection du président de l’Ag, la création d’une commission électorale indépendante et l’adoption d’un règlement intérieur (comprenant le code électoral), afin de permettre un renouvellement en toute légalité du Conseil de l’Onmc. Il est rejoint dans le mouvement par le Dr Rodolphe Fonkoua, membre du Conseil sortant, qui reproche au président sortant, Dr Guy Sandjon, un certain nombre d’écarts, notamment « l’absence de la tenue des conseils, l’accumulation des dossiers des confrères au-delà d’un délai de 90 jours, l’instauration d’une pénalité de 30% pour retard de cotisation annuelle de tout ancien membre… ».
Dans la foulée, pour sauver les meubles, le président sortant de l’Ordre convoque une Assemblée générale extraordinaire pour le 19 avril 2022 à l’effet à l’effet d’examiner et d’adopter le Code de déontologie et le règlement intérieur de l’Ordre. La rencontre qui se tient au Palais des congrès de Yaoundé et à laquelle le ministre de la Santé publique est représenté par l’Inspecteur général des services administratifs, Dr Boukar, se solde par un échec pour quorum non-atteint. L’assemblée générale est renvoyée pour se tenir à nouveau dans un délai de 15 à 30 jours.
Commission électorale
C’est alors que Malachie Manaouda entre en scène, passe outre le Conseil de l’Ordre qui attend pourtant son aval pour organiser une nouvelle assemblée générale et convoque lui-même cette rencontre pour le 13 mai à Yaoundé. Cette nouvelle convocation va provoquer une levée de boucliers au sein de l’opinion et des médecins. L’on estime qu’il n’a pas qualité à convoquer une telle rencontre, attribuant cette prérogative au seul président de l’Ordre. Mais à la vérité, le ministre est dans son droit. L’article 22, alinéa 1 de la Loi n°90-36 du 10 août 1990 relative à l’exercice et à l’organisation de la profession de médecin lui confère ce pouvoir.
Cette nouvelle session sera boycottée par le Conseil sortant de l’Ordre et des milliers de médecins. Seuls 121 professionnels sur près de 10500 inscrits au tableau de l’Ordre prendront part à ces travaux très importants pour la profession de médecin au Cameroun. Après moult tractations, les travaux qui ont débuté en matinée aboutissent autour de 22 heures à l’adoption desdits documents. Avec ces nouveaux instruments, un ensemble de dispositions ont été revues. Le Code de déontologie qui institue désormais une commission électorale pour conduire les Assemblées générales électives, précise par ailleurs que pour prétendre au poste de président de l’Ordre par exemple, il faut avoir été membre du Conseil de l’Ordre ou de la chambre d’appel.
Parée donc pour une élection « sans bagarres ». Mais l’Ordre se trouve dans une impasse, le bureau étant considéré comme illégitime puisque son mandat est échu depuis mars 2022. Le ministre de la Santé convoque donc l’assemblée générale élective pour le 29 décembre 2022 à Yaoundé. Elections auxquelles le Dr Guy Sandjon, le président sortant, décide de ne pas se présenter. Sept médecins déposent leurs candidatures pour lui succéder à la tête de l’Ordre. Parmi eux, le Dr Yves Bassong, ex-président du Syndicat national des médecins du Cameroun et le Dr Rodolphe Fonkoua, ex-membre du Conseil sortant.
Candidatures
Entre-temps, des voix s’élèvent et s’insurgent contre la mainmise ministérielle dans ce processus électoral. D’autres vont jusqu’à accuser le Minsanté de vouloir positionner l’un des candidats de force. L’assemblée générale du 29 décembre aura finalement lieu, mais ne consacrera pas un nouvel exécutif à l’Ordre des médecins. En l’absence d’un fichier électoral consensuel, les différents candidats soupçonnent la fraude qui se traduit par la présence dans la salle comme électeurs des médecins non-inscrits au tableau de l’Ordre. L’élection est renvoyée.
Dans la foulée, désaccords et accusations se multiplient. 480 requêtes sont introduites au ministère de la Santé publique. Le Dr Théodat Manga, candidat, saisit le tribunal de grande instance de Yaoundé à l’effet de faire annuler le processus électoral. Mais Malachie Manaouda qui a à nouveau convoqué les médecins aux urnes ce 18 janvier 2023 joue la carte de l’apaisement et invite les médecins à une ultime concertation le 12 janvier.
Au tribunal
« Cette rencontre qui intervient après les étapes préalables de publication de la date du scrutin et du fichier électoral à l’issue du toilettage opéré de manière concertée le 12 janvier 2023, s’inscrit dans une démarche de mise en commun des intelligences, dans l’optique d’une organisation harmonieuse de cette Assemblée générale », justifie Malachie Manaouda. Mais seuls deux candidats sur sept assisteront à cette rencontre. Au cours des échanges, le ministre va assurer son auditoire que l’élection sera « entièrement pilotée par Elecam » pour souscrire à la transparence et l’équité. Et d’ajouter qu’il importe d’avoir un Ordre fort et indépendant, qui fonctionne bien et s’affirme comme un précieux outil de consultation, un auxiliaire majeur de la prise de décision institutionnelle. Mais parmi les médecins, l’écho des sons discordants se fait encore plus tonitruant. En témoigne cette correspondance du Pr Aimé Bonny adressée au président de la République qui dénonce moult « incongruités » du processus électoral.
A 19h26 lundi 16 janvier 2023, alors qu’on s’y attendait le moins, le ministre de la Santé publique par un tweet annonce le report « sine die » des élections initialement prévue ce 18 janvier. Décision prise sans doute après que le président de la République a instruit le Premier ministre de prendre, en liaison avec le Minsanté, « toutes les dispositions utiles et nécessaires permettant de garantir l’organisation de l’élection du bureau de l’Ordre national des médecins du Cameroun, dans des conditions de sérénité, d’objectivité et de transparence ». Instruction transmise par le secrétaire général de la présidence de la République, Ferdinand Ngoh Ngoh, le 16 janvier dans une correspondance adressée au secrétaire général des services du Premier ministre. A quand la nouvelle assemblée générale élective de l’Ordre national des médecins ? Nul ne sait donc ni le jour, ni l’heure.
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