Crise sociopolitique du Nord-Ouest et du Sud-Ouest : Des dépouilles mutilées et exposées tels des trophées de guerre
Cette pratique est pourtant interdite par le droit international humanitaire coutumier, le droit pénal camerounais et la culture africaine, et ceux qui s’en rendent coupables s'exposent à des poursuites.
29 septembre 2019. Le Cameroun s’apprête à accueillir, dès le lendemain, « le grand dialogue national », événement destiné à rechercher des solutions à la crise sociopolitique qui secoue les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest depuis 2016. Cet après-midi-là, une vidéo d’une trentaine de secondes, tourne en boucle sur les réseaux sociaux. Cette séquence présente une dame toute nue, traînée au sol sur une dizaine de mètres par des hommes armés et cagoulés.
La dame est ensuite assassinée et décapitée à coups de machette, et son corps mutilé, présenté par ses bourreaux tel un trophée de guerre. La victime, c’est Florence Ayafor, 43 ans et gardienne des prisons en service à la prison centrale de Bamenda. Ce crime suscite une vague d’indignations et rappelle celui d’une autre dame, décapitée moins de deux semaines auparavant.
En 2018, un homme est assassiné dans des circonstances similaires. La victime se trouvait à un barrage routier à Wum dans le Nord-Ouest lorsqu’il a été attaqué, sa tête tranchée et emportée par des belligérants non identifiés.Plus tard, le 11 août 2020, dans une vidéo relayée sur les réseaux sociaux, on voit une femme, les mains ligotées dans le dos se faire fouetter puis trainer au sol dans la région du Sud-Ouest. Ses bourreaux finissent par lui trancher la gorge, malgré ses supplications, avant d’abandonner son corps dans la rue.
Autre lieu, autre scène. Février 2024, le corps d’un combattant présenté comme meneur d’un groupe armé est exposé au marché de Guzang par des porteurs d’armes. La scène choque plus d’un, et entraîne des heures plus tard, l’interdiction de toutes activités en ce lieu par les « frères d’armes » de la victime. Ceux-ci font d’ailleurs des tirs de sommation pour mettre en garde quiconque passerait outre cette mesure.
Depuis le début de la crise sécuritaire dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, des scènes de profanation des dépouilles se multiplient au mépris des législations nationales et internationales en matière de protection de la dignité des morts. Laquelle prescrit un traitement humain et digne des corps, même après la vie.
A juste titre, la règle 113 du droit international humanitaire coutumier – relatif à la protection des morts contre le dépouillement et la mutilation – auquel le Cameroun est partie, dispose que « Chaque partie au conflit doit prendre toutes les mesures possibles pour empêcher que les morts ne soient dépouillés. La mutilation des cadavres est interdite ». « Selon la pratique des États, cette règle constitue une norme de droit international coutumier applicable dans les conflits armés tant internationaux que non internationaux (…) Cette règle s’applique à tous les morts, sans distinction de caractère défavorable (voir règle 88). Elle s’applique donc aux morts quelle que soit la partie à laquelle ils appartiennent, mais aussi qu’ils aient ou non participé directement aux hostilités », précise cet instrument juridique.
Bien plus, le code pénal camerounais va au-delà d’une simple prescription d’un traitement digne et respectueux des dépouilles, et envisage des sanctions. « Est puni d’un emprisonnement de trois mois à cinq ans et d’une amende de 10 000 Fcfa à 100 000, celui qui : a) viole les tombeaux et les sépultures, b) profane tout ou partie d’un cadavre humain enseveli ou non », lit-on à l’article 274.
Au sens de la culture africaine, il est strictement interdit de profané une dépouille. « En négro-culture, on a un respect sacrosaint de la personne humaine. Et ce respect ne disparaît pas avec le décès. Bien au contraire, même quand un forcené a trouvé la mort, on lui donne des obsèques dignes parce que l’être humain ne cesse pas de vivre après la vie dans le monde physique. Il devient un existant dans le monde de l’au-delà, et s’il a mené une vie vertueuse, c’est lui qui devient l’intercesseur de la communauté des vivants auprès de Dieu […] On respecte l’être humain et de façon plus sacrée la dépouille. Il est donc hors de question d’humilier celui qui est mort en faisant une exposition de manière hilare et honteuse », déclare François Bingono Bingono, anthropologue.
En outre, « en négro-civilisation, le manque de respect aux morts c’est quelque chose d’inadmissible. Cela ne s’était jamais pratiqué en Afrique. Même quand, à l’occasion des guerres intertribales ou inter-claniques, on avait eu la possibilité de donner la mort au chef de file d’en face, on n’exposait jamais le corps. On laissait que le peuple vaincu vienne récupérer les cadavres et les enterre dignement », ajoute l’anthropologue.
Ceux qui se rendent coupables de la profanation des dépouilles ne sont pas à l’abri des poursuites, au sens de la règle 113 du dih coutumier. Mais pas seulement. Du point de vue anthropologique, il existerait aussi des représailles. « Ces personnes finissent toujours mal. Vers la fin de leur vie, ces personnes-là commencent à subir les agressions mentales des personnes qu’elles ont torturées, mises à mort et malmenées. Il y a inévitablement des représailles qui auront des manifestations physiques, avec des maladies qui commencent souvent par les terminaisons biologiques qui ont été utilisées pour ses mutilations, comme les mains. Le mental aussi est si affecté qu’il arrive un moment où tout ce qu’on a fait comme mal reflue en soi et on commence des choses qui ressemblent à des cauchemars », conclut François Bingono Bingono.
Faut-il le préciser, en 2022, Human Rights Watch dénombrait déjà au moins 6000 personnes tuées dans le cadre de la crise sociopolitique du Nord-Ouest et du Sud-Ouest. Parmi les personnes ayant perdu la vie dans ce conflit armé non international, plusieurs dizaines de corps ont été dépouillés, mutilés, et profanés.
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